En tant qu’expert en communication et observateur nord-américain, Luc Saint-Hilaire partage avec nous son appréciation de la victoire de Donald Trump.
Luc Saint-Hilaire est publicitaire, il enseigne à l’université LAVAL (Québec) depuis 1986.
Mohamed Cherif Amokrane: Est-ce que la candidate Hillary Clinton s’est trompée en allant sur le terrain de son adversaire Donald Trump, c’est-à-dire le terrain des coups bas et de l’invective ?
Luc Saint-Hilaire : Donald Trump a démontré une grande habileté à cibler les problèmes qui affectent la classe moyenne américaine, à les simplifier à l’extrême et à proposer des solutions tout aussi simples. En apparence, il a raison, mais la réalité est beaucoup plus complexe. Ainsi, il est évident que l’homme verse dans le simplisme et le populisme, comme lorsqu’il a promis de construire un mur pour mettre fin à l’immigration illégale !
Pour revenir au cœur de votre question, je ne pense pas que Clinton avait le choix d’aller ou non sur le terrain de Trump, le populisme étant aujourd’hui une stratégie gagnante. D’ailleurs, à mon sens, un seul candidat a abordé ces présidentielles avec une approche sérieuse et nuancée. Or, Bernie Sanders n’a pas survécu aux primaires. En effet, il n’avait aucune chance de s’imposer dans un contexte où il faut vraiment s’informer et réfléchir pour départager les candidats. Nous sommes dans l’ère du post-factuel; ce sont les émotions qui prennent le dessus sur les faits. Voilà un terreau fertile pour le populisme.
Pour contrer le populisme, il faut une éducation politique qui permet à l’électeur moyen de mieux comprendre les enjeux politiques, d’être plus lucide parce que mieux informé. Cependant, cela demande une longue préparation avant la campagne électorale. Une fois plongés dedans, il est trop tard pour les candidats. C’est Trump qui impose le rythme, ce qui produit une campagne extrêmement négative et désagréable pour tout le monde.
MCA: La majorité des médias américains étaient contre le candidat Trump, ça ne l’a pas empêché de gagner, comment peut-on expliquer cela ?
L.S-H : Nous sommes dans une ère où la technologie a fait « muter » notre manière de communiquer sur les plans quantitatif et qualitatif. Par exemple, Twitter est un outil incontournable, mais il impose de communiquer en se limitant à 144 caractères. Cela vide nécessairement les messages de leur sens, du moins de leurs nuances. Cette simplification dans l’expression de la pensée nous fait glisser vers une pensée simplifiée à la source. Ce mode de communication sert parfaitement la stratégie de Trump.
Dans cet esprit, les nouveaux moyens de communication post-factuels ont contribué à l’accession de Trump à la Maison Blanche, cela malgré toute la rationnelle étoffée des médias dits classiques.
MCA: Quelles conséquences aura cette élection sur l’image des USA ?
L.S-H : L’image des USA a pris un sérieux coup. Pendant des mois interminables, la campagne a été une bataille de très bas niveau, basée sur la forme très négative plutôt que les idées constructives. L’impression nette est que les États-Unis n’avaient rien de mieux à offrir que deux candidats immoraux et incompétents pour accéder à la présidence. Voilà qui fait mal à l’image du pays.
Évidemment, cette image est ébranlée sur la scène internationale : le pays qui se targue de démocratie, et qui donne des leçons aux autres peuples, finit par élire le pire des deux. Mais les conséquences seront ressenties dans tous les domaines y compris le tourisme et l’économie… sans oublier l’image que les Américains ont désormais de leur propre pays.