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La crise du Covid-19, dans la tête de « monsieur tout le monde »

Devant la crise sanitaire qui secoue le monde, chamboule les vies et sème inquiétude et peur, on oublie souvent que l’individu vit cette situation comme une expérience, au sens large du terme ; c’est-à-dire dans une mesure qui l’implique physiquement, mentalement et émotionnellement. Les perceptions qu’il s’en fait sont étroitement liées à son vécu. Il est donc nécessaire de compléter les procédés planifiés de changement du comportement, par une prise en compte de ce qui se passe dans la tête de monsieur tout le monde.

Sans prétendre apporter une contribution aux normes académiques des mondes de la sociologie, de la psychologie et de la psychologie sociale, le présent article est surtout une analyse d’un spécialiste en communication, qui propose des pistes pour améliorer la communication de sensibilisation autour du Covid-19 :

Assurer la diffusion, ça ne suffit plus

Une vision purement techniciste peut nous induire en erreur. Cela arrive quand nous considérons l’individu comme un récipient vide avant la communication, plein après celle-ci. Comme si les messages qu’il reçoit seront gardés tels qu’ils ont été livrés, et comme si l’individu ne produira rien, comme pensées et réflexions, en se basant justement sur les messages dont il est le destinataire. C’est en oubliant cela, que certains se disent à un moment donné : « nous avons suffisamment informé » ou « tout le monde est au courant »…

Dans l’absolu, le fait d’informer est la tâche la plus facile en communication. Mais pas dans notre ère, où deux grands problèmes, liés surtout à l’avènement des nouvelles technologies, compliquent le travail de tout communicateur. Il s’agit premièrement de la surinformation, puisque l’individu est bombardé d’un flux « inhumain » d’informations et il ne possède ni le temps ni les compétences (du moins pas toujours) de les filtrer. Ce qui rend la tâche de lui faire parvenir une information, très difficile. Et le deuxième problème, qui semble indissociable de l’espace numérique, est celui des fakes news. Non seulement elles contribuent à augmenter le nombre d’informations que l’individu doit trier au présent, mais elles causent une remise en question de tout ce qu’il savait auparavant. Autrement dit, là où il suffisait de faire parvenir la bonne information au bon moment et à la bonne personne, il faut désormais la protéger contre les interférences pendant et après la diffusion.

La crise liée au Covid-19 est vécue émotionnellement

L’actuelle crise sanitaire affecte la vie des gens, elle touche leurs habitudes, leur sentiment de sécurité, leur capacité à appréhender l’avenir, leurs liens sociaux, leur travail…elle change tout autour d’eux. Et c’est parce qu’elle a tout changé du jour au lendemain, qu’elle a induit une nouvelle ambiance, dont les marqueurs sont perçus individuellement ou collectivement.

Si nous revenons aux premiers moments où la société a pris conscience de la gravité de la situation, il y avait un certain nombre de repères collectifs :  le couvre-feu, les magasins fermés, l’interdiction des rassemblements, la peur ambiante, les contraventions pour les gens qui ne respectaient pas les mesures de protection et il y avait aussi les appels lancés par les mégaphones des services de sécurité, qui faisaient penser aux scénarios apocalyptiques dans le cinéma américain !

Au niveau individuel, chacun se constitue un ensemble de repères assez subjectif : « qu’est ce qui fait que la situation soit grave de mon point de vue ?». Cet ensemble n’est pas indépendant des repères collectifs, mais il va plus ou moins, selon les personnes, influencer les jugements et les comportements. Par exemple, « mon voisin médecin, sort faire ses courses sans mettre un masque », « mon ami journaliste qui parle souvent dans les médias, n’applique rien de ce qu’il recommande » ou encore « personne dans mon entourage n’a été contaminé ».

Bien évidemment, ce sont les repères collectifs qu’il faut prendre en considération dans la communication publique, tandis que les repères individuels peuvent rendre plus efficace la communication interpersonnelle (d’un individu à l’autre).

La communication bute sur les repères sociaux

L’expérience a démontré jusqu’à présent, qu’à l’instant même où l’on touche aux repères que suivent les individus pour déterminer la gravité de la situation, il y a relâchement dans le respect des mesures barrières. Par exemple, lorsque la décision de repousser le début du couvre-feu à 23h00, ou lorsque les plages, les cafés, les mosquées…ont été autorisés à accueillir du monde, le message perçu par la population était que la situation épidémiologique est en nette amélioration. Et dans ce cas, la communication devient inopérante devant des convictions difficiles à percer. En fait, la seule solution devant un tel cas, c’est d’identifier les repères sociaux ainsi que les convictions qu’ils engendrent, afin de les démonter un par un, en recourant à beaucoup de pédagogie. Par exemple : « nous avons décidé de rouvrir les restaurants et les cafés, car il y a X nombre de familles qui ont été privées de ressources durant plusieurs semaines. La réouverture est dictée par la nécessité sociale et non par la diminution du risque sanitaire ». A chaque fois où l’on touche à un repère collectif, il faut déployer une communication adéquate, afin de ne laisser aucun espace à l’interprétation induisant le relâchement.

A chacun son compromis

La vie sociale est faite de compromis. Nous en faisons tout le temps et partout. C’est le seul moyen de vivre en harmonie au sein d’une société. La nécessité du compromis vient de l’affrontement entre les aspirations individuelles et les contraintes que nous impose notre environnement. Devant la crise liée au Covid-19, nous faisons des compromis de différentes natures (médicale, juridique, sociale), pour concilier entre ce que nous jugeons inévitable et ce que nous pouvons sacrifier. D’un point de vue médical, nous savons qu’il serait plus sûr de limiter les contacts avec nos proches, mais nous refusons d’aller aussi loin dans l’observation des précautions. Nous savons aussi qu’il est risqué d’aller manger dehors, mais nous le faisons car nous avons besoin de notre « dose de vie normale ». Tout cela pour dire qu’aucun humain ne peut respecter toutes les mesures tout le temps, surtout avec une crise qui dure depuis de longs mois. Les gens préfèrent un minimum acceptable qu’ils peuvent respecter durant longtemps, plutôt qu’un maximum auquel ils renonceraient après un moment.

Il est important de savoir où se situe la zone de croisement des compromis, au sein d’une société. Car pour les autorités d’un pays, il faut avant tout chercher l’adhésion et il faut la chercher dans ce qui est perçu comme acceptable par la population, cela avant de passer à la sanction si nécessaire.

En conclusion, s’il y a une chose que la crise actuelle nous dévoile, c’est bien le fait que nous ne la comprenons pas entièrement, et ce quel que soit notre perspective. Elle nous impose de rester sur un mode d’apprentissage et de nous remettre en question continuellement. Sommes-nous près de cet état d’esprit ?

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