Si la fraternité qu’éprouve le peuple égyptien envers le peuple algérien n’a pas besoin d’être discutée, nous ne pouvons pas dire autant de certains médias et certains journalistes qui ont par le passé, manifesté une hostilité des plus étonnantes, contre l’Algérie.
Le régime égyptien fait partie de ceux qui misent énormément sur le football pour atténuer, du moins par la perception et pour une courte durée, le sentiment de « mal-vie » de ses citoyens. Le football occupe une place tellement importante, que l’ancien président Moubarak avait misé dessus pour faire accepter l’un de ses fils comme « héritier » de la présidence du pays. Cela devait se passer en 2009/2010, avec la qualification en coupe du monde espérée face à l’Algérie, mais les choses se sont passées autrement suite à la victoire du rival historique.
L’Egypte vit en ce moment, une situation sociale, économique et politique désastreuse. La coupe d’Afrique des Nations aura permis au minimum de faire oublier à l’opinion publique internationale et locale la mort, pour le moins suspecte, de l’ancien président élu Mohamed Morsi*. Jumelée à une très bonne organisation de la compétition, une victoire de l’Egypte aurait permis au président Al Sissi de capitaliser sur la réduction, aussi minime, soit-elle, du désespoir qui anime (ou doit-on dire « désanime ») le peuple égyptien. Cette victoire aurait peut-être pu faire oublier la violation de la constitution par Al Sissi, qui compte faire durer ses « prouesses » jusqu’en 2034 !
Finalement, les choses ont pris une tournure inattendue pour l’EN égyptienne. Le pays organisateur est éliminé dès les huitièmes de finale, après une défaite contre l’Afrique du Sud. Le choc était grand au point où il pouvait constituer un élément déclencheur, et amener à une importante crise entre le peuple et le régime d’Al Sissi. Voici le risque de politiser le football : quand on cherche à récupérer politiquement les victoires sportives, on s’expose à subir aussi les défaites. Conscients du risque, les médias égyptiens ont opté pour deux stratégies en matière de communication : désigner des boucs-émissaires et construire un projet latéral.
Les boucs-émissaires étaient naturellement désignés : les joueurs, le staff technique et les dirigeants. Le président de la fédération égyptienne de football a rapidement « décidé » de limoger tout le staff technique, et a lui-même démissionné de son poste. Les médias égyptiens ont tout de suite joué leur rôle en critiquant très sévèrement les joueurs et tout l’encadrement. Nous pensons que durant cette phase, le but était de canaliser la colère du peuple et ainsi éviter qu’elle sorte du cadre sportif. Fidèles à leur réputation, les présentateurs et chroniqueurs de télévisions ont, avec leur maladresse habituelle, exécuté les instructions des autorités politiques et ont repris les mêmes mots, les mêmes arguments et les mêmes éléments de langage. Cela ne pouvait pas suffire, au vu de la situation explosive dans laquelle vit le peuple égyptien.
Dès les quarts de finale, notamment après le match de l’Algérie contre la Côte D’ivoire, le discours sévère vis-à-vis de l’équipe égyptienne s’est accompagné de louanges, pour les algériens. L’argumentation présentait ces derniers comme l’exemple à suivre, tout en accablant l’équipe locale décrite comme étant à l’opposé de tout ce qui fait la réussite de l’Algérie. Cette phase était nécessaire pour construire un projet latéral (aussi de consolation) où l’on s’apprêtait à propulser le peuple égyptien. La transition s’est faite avec les matchs de demi-finale et la victoire de l’Algérie contre le Nigéria. Des présentateurs comme Medhat Chalabi, Amr Adib, Ahmed Shobair…ont montré une sympathie troublante, lorsqu’on se remémore toute leur véhémence envers l’Algérie par le passé. A mesure que le match de la finale approchait, tout était mis en œuvre pour faire oublier l’élimination égyptienne et amener le peuple à se réjouir de la victoire algérienne. Nous pensons d’ailleurs, que l’absence du président Al Sissi, lors de la finale, s’inscrit dans l’objectif de maintenir l’attention du public orientée vers la performance algérienne.
Les manœuvres du régime d’Al Sissi sont assez habiles, mais leurs effets ne peuvent durer longtemps. Les égyptiens se feront vite rattraper par la réalité de leur vie actuelle. La communication, surtout en situation sensible, ne peut servir durablement que si elle est accompagnée par des actions efficaces sur le terrain…de la vie.
(*) 17/06/2019, soit 4 jours avant le début de la CAN 2019.