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Algérie : comment se former à la communication ?

Dans cet article je pars du postulat que la compétence est constituée de trois piliers indissociables : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Donc pour être compétent en communication, il faut chercher à acquérir ces qualités qui sont toutes affectées, entre autres, par les contextes social, culturel, économique et historique.

Avant d’entrer dans le sujet, où en est la communication dans notre pays ? La réponse à cette question passe par un rappel historique. L’Algérie indépendante a choisi le modèle de gouvernance socialiste où la concurrence était quasi-inexistante et où la communication se limitait à des messages idéologiques centralisés. Les seuls spots dont nous nous souvenons aujourd’hui, sont les spots de sensibilisation parmi lesquels ceux réalisés par le secteur de la santé. Le champ médiatique était verrouillé et ses composantes véhiculaient les mêmes messages dirigés. La nouvelle loi de l’information en 1990 apportât une ouverture et des perspectives de développement. Mais les résidus de la culture socialiste en matière de communication, persistent jusqu’à nos jours, surtout dans le secteur public.

Après   le démantèlement de l’Union Soviétique et la dispersion du bloc socialiste dans le monde (à partir de 1989, fin de la guerre froide), l’Algérie à travers ses gouvernants de l’époque, a décidé d’aller vers une économie plus libérée, elle voulait du libéralisme mais n’a réussi qu’à engendrer une « économie de bazar » où l’Etat ne s’était pas préparé à jouer son rôle de régulation, et où les gestionnaires n’avaient pas « mis-à-jour » leurs mentalités. Tout cela durant toute une décennie d’atroces violences : la décennie noire. A la fin des années 90 et avec l’accession d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, des efforts de communication considérables ont été déployés, d’abord pour rattraper le manque de légitimité de l’ancien président, qui rappelons-le, a dû se présenter seul aux élections de 1999 après le retrait de ses concurrents. Ensuite, pour promouvoir ses deux projets phares : la « Concorde Civile » et la « Réconciliation Nationale ». A la même période à peu près, le marché algérien connût la naissance des premières agences de communication sous leur forme actuelle, elles auraient dû exister dix ans avant, mais je pense que c’est la situation sécuritaire et ses conséquences économiques qui ont retardé cette évolution. En tout cas, le règne de Bouteflika avec les ressources financières exceptionnelles dont disposait le pays, a été marqué par une évolution publicitaire remarquable. En général, les agences ont appris à faire une publicité belle et rarement originale mais il leur reste à relever le défi de la maîtrise stratégique. La communication ne se fait pas à travers des actions ponctuelles qui donnent satisfaction à un annonceur mal informé ou à un créatif mal formé. La communication est une construction sur le long terme, qui nécessite vision et cohérence.

L’un des obstacles majeurs au développement de la communication durant les quatre mandats du président Bouteflika, était que la réussite ne s’obtenait qu’à travers les jeux d’influence et la corruption. Souvent, la communication n’était là que pour servir de façade et de justification aux réussites obtenues par des moyens occultes.

Aujourd’hui, la communication prend de l’importance, les réseaux sociaux y sont pour beaucoup, car c’est eux qui servent de miroirs livrant des réactions immédiates aux organisations. Avec le temps, les gestionnaires commencent à comprendre, que c’est un métier difficile à maîtriser, que les erreurs se payent cash et qu’ils ne sont pas suffisamment armés pour les éviter. Ils cherchent de plus en plus à s’appuyer sur des compétences pour les aider à gérer leurs communications. Cela promet de l’avenir à ce métier et met la jeune génération devant l’exigence d’un apprentissage solide et permanent. Mais que doivent-ils apprendre ?

Comme je l’ai dit dans l’introduction, être compétent en communication c’est posséder un savoir, un savoir-faire et un savoir-être. Je n’invente rien, c’est une définition répandue et qui a inspiré certains livres articulés sur cette logique.

Savoir :  Autant dire tout de suite que le communicateur ne doit pas poser de limites à son apprentissage. Il doit ratisser large pour pouvoir comprendre une société complexe, et il doit accompagner les évolutions sociale, culturelle, économique et technologique. Les domaines qui me viennent spontanément à l’esprit sont :

  • Les techniques de communication sous toutes ses formes. Il est nécessaire de lire des auteurs de différents horizons et ne pas se limiter à un pays ou une langue particulière.
  • La sociologie, la psychologie et la psychologie sociale. Ce sont des domaines indispensables pour qui veut comprendre ses publics. Il s’agit bien sûr d’en comprendre les grands principes pas de devenir spécialiste dans ces domaines.
  • L’histoire est aussi un facteur clé dans la contextualisation.
  • L’économie. Il faut se documenter sur ce domaine en général et en particulier pour ce qui est de notre pays.
  • La stratégie. Ce terme est surexploité mais les gens qui savent vraiment de quoi ça parle sont rares.
  • Les cas d’école. Il faut en lire au maximum et essayer de les imaginer dans notre contexte.

Savoir-faire : il s’agit de ce qu’on sait faire. Ça ne se mesure ni par un diplôme, ni par le nombre d’années d’expériences. Ça se mesure uniquement par des actions concrètes qu’on est capables de réaliser. Certains savoir-faire vous sembleront trop évidents, mais je les citerai quand même car nous accusons un grand manque les concernant :

  • Savoir écrire et parler. La langue arabe est très importante sur notre marché, pourtant elle reste négligée par les agences qui visiblement préfèrent une communication narcissique (se parler à soi-même). Le résultat est clair : j’ai rarement vu ou entendu des communications (comprendre spots, affiches, insertions dans la presse…) en arabe qui ne contiennent pas des erreurs. La langue tamazight est aussi importante avec les publics qui la demandent, mais elle est souvent utilisée à minima, juste pour assurer un « SMIC ». La langue française quant à elle est en recul chez les jeunes générations et il faut dès maintenant se projeter vers un avenir ou la langue anglaise sera très présente.
  • Savoir négocier. Le communicateur se trouve très souvent en situation de négociateur pour étendre et défendre son territoire notamment au sein de sa propre organisation.
  • Savoir analyser. Les informations clés pour comprendre une situation donnée ne sont jamais évidentes. Il faut un effort particulier, imprégné d’une transversalité des champs de connaissance pour arriver à déceler des leviers stratégiques pertinents.
  • Savoir appliquer ses connaissances en général. Il y a chez certains « professionnels » une aversion contre les livres, contre la théorie. Je suis toujours révolté quand j’entends quelqu’un dire « ça c’est de la théorie, moi je suis sur le terrain » ! Les connaissances que nous tirons des livres sont très importantes, mais elles nécessitent une intelligence que beaucoup de gens ne possèdent pas. Apprenez à convertir vos connaissances sur le terrain. Si vous n’avez pas cette intelligence, vous n’irez pas loin.
  • Savoir exécuter les différentes tâches de communication et en maitriser les techniques : la rédaction, la planification, l’organisation, l’évaluation, la recherche…

Savoir-être : il s’agit de la capacité à utiliser des savoirs et des savoir-faire dans un contexte donné. Autrement-dit, on peut être très compétent dans un pays étranger et être incompétent en Algérie. Si vous ne parvenez pas à rendre vos connaissances et savoir-faire utiles dans le contexte où vous évoluez, vous ne pouvez pas prétendre avoir une quelconque compétence. Malheureusement, beaucoup de gestionnaires ne tiennent pas compte de cette règle et sont toujours obnubilés par des étrangers qui, après de longues années et des milliards gaspillés, n’ont pratiquement rien apporté à notre pays. Ils sont compétents chez eux mais pas chez nous. Evidemment, je ne vise pas ceux qui sont établis en Algérie depuis de longues années et qui peuvent maitriser notre contexte. Certains éléments sont très importants pour le savoir-être :

  • L’empathie. Elle est essentielle pour se mettre à la place du public que l’on veut toucher. Votre communication doit correspondre aux gens que vous voulez toucher, sauf si vous êtes narcissiques !
  • L’esprit du compromis. Dans un pays très jeune en communication, les mentalités pèseront pour longtemps encore. Il faut savoir céder du terrain et construire le changement sur la durée.
  • La pédagogie. Il en faut beaucoup pour faire évoluer votre entourage, vous devez vous armer de solides connaissances théoriques, car votre parole ne suffira pas à convaincre avant que vous n’ayez fait vos preuves.
  • L’humilité. La communication exige que l’on soit capable d’écouter, de changer d’avis, de reconnaitre des erreurs, de modérer ses promesses de résultats… sans cela vous allez affaiblir votre position et celle de la fonction communication.
  • La ténacité. Ne soyez pas frustrés de l’écart entre ce qui existe et ce qui devrait exister. Les nations évoluent graduellement, soyez patients et armez-vous de sérieux et d’optimisme.
  • L’esprit de corps. Regardez comment les communicateurs des pays développés se comportent entre eux : ils se félicitent mutuellement, ils arrivent à collaborer même s’ils sont en concurrence, ils partagent les publications et articles de leurs confrères…ils progressent collectivement. J’espère que la nouvelle génération de communicateurs en Algérie prendra ce chemin, car le plus grand défi pour l’Algérie est de faire grandir son marché de communication qui n’est pas du tout dimensionné sur son vrai potentiel. Au lieu de nous battre pour des miettes, faisons grandir le marché qui suffira à tout le monde.
  • Tisser des liens dans le monde social, professionnel et économique. Elargissez vos horizons et apprenez de tout le monde.

En conclusion, la communication va continuer à se développer dans notre pays. La jeune génération a de grandes capacités et opportunités. Elle est invitée à se mettre dans la dynamique vertueuse  de l’apprentissage et du partage.