La récente divulgation de l’identité visuelle de « Domestic Airlines », la nouvelle filiale d’Air Algérie, suscite de vifs débats sur les réseaux sociaux. Professionnels de communication, graphistes ou simples observateurs, tous apportent leur grain de sel. Un nouveau cas avec une impression de déjà-vu.
De prime abord, et en se remémorant les anciennes polémiques qui accompagnent les divulgations de nouveaux logos, le niveau des arguments s’est considérablement élevé : on parle de typographie, de signification des couleurs, de positionnement stratégique, d’histoire et d’interprétation des courbes, de branding… Certes, certaines critiques sont fondées et constituent de bonnes pistes pour de futures améliorations, mais les avis sont tellement dispersés que cela suffit à conclure que les entreprises publiques n’échapperont jamais aux polémiques.
Si la tentation d’apporter un autre « grain de sel » au débat sémiologique ne manque pas, l’objet de cet article est d’amorcer une réflexion sur le changement d’identité visuelle en tant qu’enjeu sensible pour l’entreprise publique. La question est fondamentale, car de nombreux décideurs font le choix (très compréhensible) d’éviter de secouer le « nid de guêpes », malgré la nécessité de changement souvent dictée par des considérations techniques et stratégiques.
La perspective du décideur
Imaginez que vous êtes à la tête d’une grande entreprise nationale. Cela fait des années que votre direction de communication tente de vous convaincre de faire le pas, et vous avez enfin décidé d’accepter. Comment allez-vous procéder ? Vous pouvez être un excellent manager, mais n’avoir qu’une connaissance superficielle du monde du graphisme (soyons clair : ce n’est pas un défaut). Vous allez donc suivre la procédure interne et lancer un appel d’offres. Vous exigerez des compétences, des références et des recommandations. Vous veillerez à garantir transparence et équité …
Ou bien vous organisez un concours -une très mauvaise idée, surtout lorsqu’on se trouve obligé à choisir le moins mauvais pour justifier les dépenses engagées- qui se soldera par une double polémique : qualité du logo + intégrité du comité. Et parfois vous pouvez même découvrir, en bonus, qu’on vous a vendu une création plagiée !
Si devant l’impossibilité de trancher localement, vous décidez de faire appel à un prestataire étranger et de renommée, vous devinez surement la suite…
Absence d’une école/référence algérienne
Loin de minimiser les compétences qui existent en Algérie, il demeure très difficile pour l’entreprise de les reconnaitre et de les sélectionner objectivement. Nous l’avons souvent répété : savoir reconnaître les compétences est une compétence. Mais celle-ci est rare surtout lorsqu’il s’agit de domaines relativement nouveaux en Algérie.
L’absence d’une référence normative algérienne ne facilite pas les choses. Depuis toujours, les écoles qui forment les graphistes leur inculquent des valeurs liées à l’art, tout en négligeant la finalité communicationnelle de la création graphique. Une nette amélioration est constatée avec la nouvelle génération de graphistes qui s’ouvrent sur le monde, qui lisent des ouvrages nord-américains et qui se libèrent finalement de la culture européenne.
Toutefois, en ce qui concerne les croyances normatives, le tableau global reste très éclectique. Aucune grille d’analyse commune ne peut être objectivement dégagée, d’où les inévitables divergences.
Mais alors comment procéder ?
Tout d’abord, il faut écarter l’inertie lorsque celle-ci est dictée par la crainte des polémiques. Les managers ont peur des polémiques qui peuvent occasionner des Bad Buzz, mais ces derniers causent rarement des dégâts significatifs. Nous préconisons de suivre les conseils suivants :
- Commencer par l’interne : vos employés doivent comprendre et se retrouver dans la nouvelle identité : tout un processus de dialogue et surtout d’immersion culturelle est nécessaire.
- Se tenir prêt à justifier chaque décision liée au processus de changement d’identité : si vous respectez les étapes scientifiques universellement reconnues, vous ne manquerez jamais d’arguments.
- Annoncer votre choix du prestataire retenu pour mener le projet : cette annonce doit être antérieure au dévoilement de la nouvelle identité. D’un côté, la réputation du prestataire va préparer le terrain et inhiber les détracteurs systématiques. De l’autre, elle rendra les critiques plus difficiles car pour l’opinion publique, il ne s’agira plus d’attaquer une entreprise qu’on a l’habitude de malmener à tort ou à raison, sans état d’âme et sans retenue. Il ne s’agira plus d’une abstraction mais d’un confrère (ou consœur) qui pourra se défendre et critiquer à son tour les travaux des « experts détracteurs ».
- Planifier le dévoilement comme un événement sensible : quelles sont les parties prenantes qu’il faudra convaincre au préalable ? Quelles informations seraient utiles aux journalistes et aux spécialistes ? Comment faire l’annonce ? Quel est le moment le plus propice pour gérer ou subir une polémique ? Peut-on inviter des professionnels qui font autorité dans le domaine (caution implicite) ? L’accent doit être mis sur la sensibilisation en amont, notamment des conseils d’administration et des hauts responsables.
- Tenir bon et communiquer vers l’interne : si vous avez suivi une méthode rigoureuse ne vous laissez pas détourner de vos choix réfléchis. Et n’oubliez pas votre public interne qui peut être influencé par la polémique.
Dans tous les cas, nous ne pensons pas qu’il puisse être possible d’éviter les polémiques ou du moins les débats sur la pertinence des changements d’identité. Deux principes nous semblent fondamentaux : il ne faut jamais renoncer à progresser par peur des réactions. Puisque des débats auront lieu, il faut se préparer à en faire partie et à peser par ses arguments.