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Les relations publiques : définitions et périmètre. Interview avec Guy Versailles

Guy Versailles

 

Guy Versailles est un professionnel de la communication et des relations publiques. Basé à Montréal, au Québec, il possède à son actif une longue et riche expérience dans la sphère privée et publique. Il a accepté de répondre à nos questions par téléconférence.

 

Mohamed Cherif Amokrane : quand on consulte la littérature qui traite de communication, de relations publiques et de markéting, il est difficile de placer ces concepts dans un même raisonnement sans qu’il y ait confusion. Comment s’y retrouver ?

Guy Versailles : c’est une question qui m’a fatigué l’esprit pendant plusieurs années. Durant les années 1990 le marketing était en pleine expansion, et tout ce qui semblait bon, on disait que c’était du marketing. Alors que tout ce qui était négatif on l’attribuait aux relations publiques. On collait ainsi une image de manipulateurs aux gens des relations publiques. En même temps, le marketing gagnait du terrain car il s’appropriait les tâches perçues positivement.

J’ai beaucoup lu et réfléchi à cette problématique, et je suis arrivé à la conclusion que cette confusion vient du fait que les deux disciplines utilisent les mêmes outils : en marketing ou en relations publiques, on recoure à des sondages, à des groupes témoins, on peut faire de la publicité ou des relations presse, de l’événementiel…les outils sont les mêmes. Et même au-delà des outils, les méthodologies sont semblables. Donc il est facile au bout du compte de conclure que le marketing et les relations publiques désignent la même chose. Finalement, je ne sais plus à quel moment j’ai eu l’intuition (confirmée par mes lectures) de regarder, non pas du côté des outils et des moyens, mais du côté des finalités. La finalité du marketing est très différente de la finalité des relations publiques. Le marketing, si je le résume en un mot c’est la vente, la vente du produit ou du service. Alors que les relations publiques, cherchent à établir des relations avec les groupes ou les parties prenantes. Elles sont plus dans le rapprochement et la négociation. Et même s’il y a des similitudes entre les deux, les objectifs sont fondamentalement différents. Tout ça je l’ai expliqué dans mon ouvrage : « Le temps des relations publiques ».

Mais depuis, j’ai poussé plus loin la réflexion, afin de répondre à une lacune dans le livre : je n’y abordais pas la dimension politique, pourtant importante et indissociable des relations publiques. Et là je suis arrivé, même si mon travail n’est pas totalement achevé, à définir deux grands modes de communication pour une organisation : le marketing qui soutient la mission de l’organisation, et les relations publiques qui soutiennent sa fonction politique. Je m’explique. Toute organisation, qu’elle soit privée ou publique, a une mission. La mission d’une entreprise privée est généralement de vendre un produit ou un service. La mission d’une organisation publique, par exemple un ministère, est de fournir un service à la population. La dynamique normale de toute organisation est la croissance ; l’entreprise privée cherchera à vendre toujours plus de son produit et le ministère cherchera à fournir son service à une population toujours plus grande. En mode «mission», les entreprises utilisent l’approche marketing, c’est-à-dire l’approche «vente». Ces mêmes organisations ont aussi une dimension politique. L’entreprise privée est régie par un encadrement législatif et elle doit aussi être acceptée par le milieu où elle conduit ses opérations. Le ministère doit perpétuellement voir à son insertion dans la structure gouvernementale, à maintenir, voire à élargir sa mission. Dans un cas comme dans l’autre, on ne peut atteindre ces objectifs par l’approche « vente » ; il faut discuter, dialoguer, négocier avec ses parties prenantes ; c’est la fonction politique de l’organisation et le mode de communication approprié est ici l’approche «relations publiques».

MCA : dans tout ça, où situer la communication organisationnelle (corporate) ? 

GV : dans ma conception des choses, il n’y a pas trois domaines mais deux : le marketing et les relations publiques. A partir de là, si l’objet de la communication concerne la mission de l’organisation, par exemple la vente de chaussures pour un magasin, on est clairement dans le marketing. Mais si ce même magasin doit communiquer avec les autorités ou avec les riverains, là on est dans le domaine des relations publiques.

Mais il se trouve qu’à chaque fois que l’on trouve une utilité aux relations publiques, on vient mettre une étiquette pour éviter ce vocable qui souffre d’une mauvaise réputation. C’est ainsi que l’on a vu apparaître la gestion d’enjeux, les relations gouvernementales, les relations communautaires, la participation publique, pour ne nommer que celles-là. En réalité, ce sont des étiquettes qui désignent des pratiques qui sont pour l’essentiel des relations publiques.

MCA : certains auteurs attribuent à la communication corporate, le rôle de l’harmonisation de toutes les communications émises par une organisation. Si on s’en tient à votre raisonnement, qui doit veiller à cette indispensable harmonisation ?

GV : j’ai toujours préconisé de gérer en parallèle, les deux types de communication tout en les maintenant cloisonnés. La question de leur coordination, se fait selon moi à un pallier supérieur. Et le communicateur qui se trouve à ce niveau-là, qu’il vienne du marketing ou des relations publiques, ne se préoccupe plus exclusivement d’une seule de ces deux disciplines, il se préoccupe de l’entreprise. Il y a une différence. Donc il amène à la table de la direction son savoir-faire particulier, mais il ne doit plus penser selon une seule perspective marketing ou relations publiques ; il doit penser à l’entreprise dans sa globalité et savoir quelle approche communicationnelle adopter selon le contexte. Par analogie, lorsque vous accédez au conseil d’administration d’une organisation, peut être que vous avez été nommés comme représentant syndical, mais lorsque vous siégez au CA vous ne représentez pas le syndicat. Votre devoir juridique est de penser à l’intérêt de l’organisation en entier.

J’insiste encore une fois, il faut dans une organisation faire une distinction claire entre la fonction marketing et la fonction relations publiques. Certes les deux doivent être coordonnées, mais elles doivent demeurer séparées car leurs finalités sont différentes. C’est ce qui n’a pas été respecté à partir des années 1990 : quand la publicité vendait moins et qu’elle coutait de plus en plus cher, on est allé récupérer des tâches du côté des relations publiques pour dire « ça c’est du marketing » !

MCA : quelle est selon vous l’incidence de ces confusions sur l’entreprise ?

GV : quand on fait des relations publiques selon le paradigme du marketing, on risque de faire des erreurs. Je vous donne un exemple qui avait marqué les esprits : la ville de Montréal avait un service de vélos à libre partage qu’elle voulait promouvoir. Le mandat a été confié à une personne dont le background était dans le marketing. Cette personne a créé de toutes pièces un faux blog, avec des « enthousiastes du vélo » qui y écrivaient. Du point de vue marketing, quand vous voyez une publicité d’un produit de lessive, tout le monde sait que la protagoniste est une comédienne et que c’est une mise en scène. Mais en relations publiques, les codes ne sont pas les mêmes, l’authenticité est de rigueur. Dès que la supercherie a été dévoilée la réaction a été incroyable chez les médias et l’entreprise (la ville de Montréal) a subi des dommages de réputation. Quelqu’un des relations publiques n’aurait pas fait cette erreur, non pas que les gens du marketing n’ont pas d’éthique, mais leur éthique est différente de la nôtre. La publicité peut m’influencer tous les jours sans nécessairement se baser sur la confiance, mais en relations publiques si je n’ai pas confiance tout s’arrête ici, il n’y aura pas de suite.

Je ne sais pas en Algérie, mais chez nous, durant une assez longue période, un grand nombre de projets ont été annulés après avoir soulevé des controverses très intenses. Pendant 20 ans au Québec, il y a eu de grands débats. « On ne peut plus rien faire, plus rien construire, tout le monde est contre tout » disaient les promoteurs. Certains regrettaient l’époque où l’autorité décidait des projets et les faisait exécuter sans ouverture à la discussion envers quiconque. L’exemple classique étant celui du promoteur qui, voulant lancer un projet, commençait par faire une belle maquette et la montrait au public en leur disant « regardez mon projet comme il est beau ». Son idée de la consultation était de faire approuver le projet et « s’ils ne sont pas contents je leur changerais la couleur » ! Là je caricature mais à peine. D’excellents projets ont ainsi été annulés car ils avaient été trop peu ou trop mal expliqués à la population. Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et les dirigeants ne viennent plus avec des « maquettes toutes prêtes ». On ne fait plus n’importe quoi, n’importe où sans parler aux gens.

Il faut composer avec une nouvelle réalité ; les populations, aujourd’hui, veulent se prononcer sur les grands projets. On a appris à consulter efficacement, on a compris que le processus de consultation commence non pas quand le plan détaillé est complet, mais bien avant, au moment de sa définition conceptuelle. Cette approche associe la société au projet et permet d’y apporter les ajustements requis pour le rendre acceptable en temps réel. J’ai moi-même été associé à un projet où il fallait reconstruire un quartier au complet. La ville a entamé des discussions avec les riverains et a échangé avec des groupes de discussion durant 18 mois. Au final, nous avions un projet équilibré qui tenait compte de toutes les contraintes et qui a été accepté par la grande majorité des citoyens. La ville pouvait lancer la construction, elle était en terrain solide.  Cet exemple illustre que les relations publiques ont des impacts très réels. Malheureusement, quand elles sont bien faites, on ne les voit pas !

MCA : pourtant des projets continuent à être rejetés…

GV : oui il y a des projets qui sont mal vendus et il y a des projets qui sont mal ficelés. Il y a des projets qui méritent d’être refusés aussi. La plupart des grands projets que je connais ici ont été substantiellement modifiés pour tenir compte de certaines réalités qui pouvaient à priori déplaire au prometteur mais qui sont réelles. Mais avec un bon programme de consultations publiques, même les projets les plus controversés peuvent voir le jour. Il y a une dizaine d’années on a construit un pipeline entre la ville de Québec et la ville de Montréal (environ 250 kilomètres). C’était à travers la zone la plus urbanisée du territoire, on a traversé une soixantaine de municipalités et quelques centaines de propriétés privées. Le projet s’est étalé sur 5 ans et à la fin, je me souviens de l’entrevue du vice-président aux affaires publiques, où on lui a demandé pourquoi l’ouvrage a couté 275 millions $can alors qu’au début, il devait couter 200 millions seulement ? Il avait répondu en substance « ce n’est pas le même projet de départ, nous avons un meilleur projet ». Pourquoi est-il meilleur ? Eh bien parce qu’il a été accepté par toutes les parties prenantes. Mais pour qu’il soit accepté, il a fallu faire des ajustements pour tenir compte des réalités du terrain ; et les ingénieurs ayant conçu le projet initial ne pouvaient pas les prévoir de leurs bureaux.

MCA : qu’en est-il de l’étudiant ? Comment peut-il se retrouver dans sa vie professionnelle et gérer sa carrière, avec toutes ces confusions ?

GV : c’est un beau défi. Je ne crois pas qu’il existe de solution unique. À la recherche de son premier emploi, l’étudiant n’aura parfois pas beaucoup de choix. Il est débutant, il arrive sur le marché du travail et il doit faire ses preuves quelque part. Quand on est dans cette situation on ne dicte pas beaucoup ses conditions. Mais il peut quand même repérer les entreprises qui pratiquent les relations publiques d’une façon conforme à sa philosophie. C’est parfois possible et parfois non, mais au minimum, et c’est ce que je dis aux étudiants que je rencontre, quand on a un entretien d’embauche, on a le droit de poser des questions. Il faut demander à l’employeur comment sont gérées les relations publiques, où sont-elles placées par rapport au marketing et à la direction, et si on a le choix il faut se diriger vers l’entreprise qui est conforme à ce qu’on croit. Mais en réalité on n’a pas souvent ce luxe quand on est débutant, et il faut bien commencer dans une entreprise. Dans ce cas il faut avoir les idées bien claires et savoir ce qu’on veut faire de sa vie. L’étudiant peut se retrouver dans une entreprise où le marketing domine tout, y compris les relations publiques. D’abord, est-il réaliste de croire qu’il peut imposer sa vision ? La réponse est non, mais ce qu’il devrait faire c’est analyser les choses selon sa propre grille et recommander une approche en fonction de ses critères en justifiant. Parfois le débutant gagnera et d’autres fois il ne sera pas écouté. Mais il ne doit jamais abdiquer de sa conscience tout en sachant qu’on ne gagne pas toutes les batailles ; l’important est de savoir distinguer l’accessoire de l’essentiel, les combats qui doivent être gagnés et ceux dont l’enjeu n’est pas fondamental au point de remettre en question son emploi.

MCA : être journaliste ne signifie pas forcément qu’on est capable d’assumer le rôle d’un communicateur. Quel a été votre cheminement personnel pour passer du journalisme aux relations publiques ?

GV : ce fut essentiellement une question d’opportunité. En début de carrière, dans un marché du travail n’offrant pas d’ouvertures intéressantes en journalisme, je vivotais professionnellement dans un petit média régional lorsque je me fis offrir un poste d’attaché de presse au service d’un ministre important du gouvernement du Québec. J’ai choisi d’emprunter cette porte que m’ouvrait la vie.

En réaction à votre remarque, un bon journaliste doit être un bon vulgarisateur, pas nécessairement un bon communicateur. La nuance entre les deux est que le vulgarisateur adresse son message au public, il a le souci d’être bien compris, mais n’a pas à se soucier de la réaction du public, alors que le communicateur doit entrer en relation avec son public ; il tente d’obtenir quelque chose du public (une approbation, ou un geste) et doit donc agir en fonction de sa réaction.