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Yassir : retour sur un cas qui a fait du bruit

Yassir vient de vivre une situation sensible. De nombreux acteurs ont tenté de l’analyser et d’en tirer des conclusions. Des recommandations générales relevant du domaine de la communication de crise, ont été prodiguées publiquement à l’entreprise concernée. Nous sommes loin de l’époque, pas si lointaine, où les enjeux de communication sensible étaient totalement ignorés. Nous ferons dans cet article un point sur les éléments clés qui, selon nous, doivent être clarifiés.

Tout a commencé quand les utilisateurs de Yassir ont reçu un message de félicitation, le jour où les résultats des dernières présidentielles ont été dévoilés. Pourquoi un tel message a-t-il suscité autant de réactions négatives ? Nous pensons qu’en plus du contenu du message qui affirme une prise de position en faveur d’un choix politique – ce qui est pour une entreprise, quelle qu’elle soit, une erreur de taille – le facteur psychologique ambiant ce soir-là avait joué un rôle déterminant. En effet, tous ceux qui ressentaient une frustration avaient trouvé en Yassir, une « incarnation » du camp auquel ils s’opposent, contre laquelle il était possible d’agir immédiatement, sans attendre le mardi ou le vendredi d’après ! Cela explique en partie, que les choses se soient calmées pour Yassir dès le lendemain. Nous affirmons cela en rappelant au lecteur que nous n’avons comme indicateurs que ceux liés aux interactions sur les réseaux sociaux. D’un autre côté, la situation est très délicate pour Ya Technologies (l’entreprise qui exploite Yassir) qui doit nier ce dont on l’accuse sans trop en faire. Car en se détachant des autorités, elle risque de faire face à des entraves administratives qui pourraient toucher tout le secteur.

Pendant ce temps, les commentaires et les analyses se multipliaient. Il faut dire que les Bad Buzz et les crises constituent toujours une occasion pour certains de régler des comptes, pour d’autres de s’offrir une visibilité ou une crédibilité notamment en communication de crise…mais nous ne cacherons pas notre satisfaction quant à l’intérêt manifesté par de jeunes passionnés de communication et de digital. Ils participeront surement à sensibiliser nos entreprises sur les enjeux d’image et de réputation qu’il faut considérer à notre ère. Cependant, nous devons tous traiter ce genre de sujets avec rigueur, humilité et honnêteté pour ne pas donner un mauvais départ à la communication de crise, qui semble devenir un sujet « à la mode ». Car le problème auquel nous avons souvent fait face en Algérie, est que les premiers à vendre un domaine le maitrisent rarement. Le domaine de la communication digitale fournit d’éloquentes illustrations.

Revenons à la situation que vient de vivre Yassir. Certains l’ont qualifiée de Bad Buzz, d’autres de crise. Certains sont même allés jusqu’à conseiller à l’entreprise de déployer des mesures de gestion et de communication de crise. Disons-le tout de suite : ce que Yassir a traversé ne peut pas être considéré comme une crise mais plutôt comme un Bad Buzz. Il fallait attendre au moins quelques jours pour s’en rendre compte, car l’une des erreurs les plus communes dans ce genre de situations est la hâte à tirer des conclusions. Celui qui a l’habitude de traiter des situations sensibles sait qu’il ne doit pas se « faire avoir » par les premiers indices. D’ailleurs, les plus grands experts au monde dans ce domaine ne cessent de rappeler leur impuissance à comprendre et à anticiper pleinement les crises. Donc, il est louable d’analyser des cas concrets de communication, mais avec la prudence, le recul et la retenue nécessaires.

Le Bad Buzz comme son nom l’indique, est un bruit négatif autour d’une marque, un produit, une entreprise, une personne…il s’agit concrètement de discussions et de commentaires à tendance négative envers l’entité concernée. Un amalgame est souvent fait entre Bad Buzz et crise. C’est dû notamment au fait que la majorité des crises de notre ère sont accompagnées de Bad Buzz. Mais la causalité n’est pas valable dans l’autre sens. C’est-à-dire qu’un Bad Buzz n’engendre pas forcément une crise. En effet, la majorité des Bad Buzz dans le monde ne constituent pas de grandes menaces, parmi les raisons à cela :

  • les Bad Buzz s’inscrivent dans la culture de l’éphémère : un sujet en chasse un autre.
  • les Bad Buzz ne touchent généralement que les entités à forte notoriété. Elles ont un capital de sympathie qui leur permet de résister.
  • dans beaucoup de cas, les Bad Buzz sont la sanction ultime. Il n’y a pas d’autres étapes après les discussions. C’est à la fois un début et une fin.

Mais le Bad Buzz peut engendrer une crise quand il atteint un degré de déstabilisation significatif pour le fonctionnement de l’entité concernée. Appliquons cette règle au cas de Yassir en sachant :

  • que les gens qui parlent de crise n’ont eu accès à aucun indicateur à part les commentaires et les articles qui ont traité le sujet.
  • que nous n’avons aucun moyen de savoir si les gens qui prennent part au Bad Buzz sont majoritairement des clients de Yassir.
  • que Ya Technologies est la seule à avoir accès aux données sur son activité.

Et posons-nous la question suivante : quel est le seuil qui indiquerait à Yassir une entrée en crise ? La réponse la plus plausible se rapporte au nombre de désinstallations et de courses. Si l’on constate une prise de position défavorable à l’entreprise, la situation serait vraiment critique. Mais si les réactions négatives ne se manifestent que sur les réseaux sociaux, il s’agirait d’un Bad Buzz et pas d’une crise. Et même si la situation peut évoluer en théorie, l’actualité politique que vit le pays devrait mettre à l’abri toutes les entreprises qui vivent des cas similaires.

Maintenant que nous sommes d’accord (nous l’espérons du moins) sur le qualificatif qui désigne le cas que nous abordons, parlons de la communication de Yassir lors de ce Bad Buzz.

Nous estimons que Ya Technologies a commis six erreurs de communication dans cette affaire :

  1. Rassurer en créant une inquiétude plus grande : en évoquant le piratage. Des utilisateurs se sont spontanément interrogés sur la sécurité de leurs données personnelles.
  2. Un choix impertinent des mots : quand on vient de se faire pirater on ne qualifie pas la source comme un « lien douteux » il faut être affirmatif. D’un autre côté, l’emploi répétitif du terme « désagrément » face à un public en colère, sonne comme une banalisation.
  3. Des réponses copiées / collées : la page Facebook de l’entreprise a été le principal espace d’interaction. Au lieu de tenir de vraies discussions, le CM s’est contenté la plupart du temps de coller les mêmes réponses.
  4. Une argumentation irréfléchie : l’argument sur l’orthographe n’avait aucune chance. Il a rapidement été pulvérisé par les internautes.
  5. Un discours vague : en lisant la lettre du CEO de Yassir, on constate un manque de précision dans les propos : la plateforme de notifications a été piratée, mais quel est son nom ? Une enquête a été ouverte, mais par qui ? Les résultats seront communiqués dans quelques jours, mais combien exactement ?
  6. Une posture triomphaliste : au moment où le public s’attendait à découvrir les résultats de la fameuse enquête, l’entreprise fait une publication pour affirmer sa « suprématie » sur ses concurrents. Cela risque de leur fournir une excuse « morale » de l’attaquer avant même qu’elle ne soit totalement tirée d’affaire.

Aujourd’hui, une question reste sans réponse : est-ce que Yassir est en mesure de fournir les preuves d’un piratage ?

Si la réponse est non, malgré la conjoncture qui permettra surement à ce dossier de se faire oublier, ça n’empêchera pas qu’il soit archivé. Ce qui impliquerait son actualisation au moindre futur problème ou rumeur qui peuvent toucher l’entreprise, et là la confiance sera difficile à reconstruire.

Si la réponse est oui, l’entreprise devrait frapper fort pour gagner dès le premier round. En effet, il ne serait pas dans son intérêt de privilégier une communication technique pour convaincre son public par la thèse du piratage. Surtout que son CEO a provoqué ce qu’il a appelé les « pseudo-experts ». Ceux-là ne vont pas hésiter à remettre en question la version de l’entreprise. Si ce n’est pas sur sa page Facebook, ce sera dans leurs espaces personnels. Que faire alors ? La solution qui se prête le mieux à la communication serait de déposer une plainte contre les auteurs du piratage, ça constituerait une preuve irréfutable, car les services de sécurité possèdent les moyens de vérifier les affirmations de l’entreprise. En plus d’un dépôt de plainte, si la plateforme de notifications appartient à un prestataire indépendant de Yassir, la moindre des choses serait d’exiger de lui un communiqué qui confirmerait les dires de la victime.

Nous ne conclurons pas cet article avant de rappeler que Yassir est une entreprise qui mérite d’être encouragée et défendue. En partant à la conquête du Maghreb et bientôt de l’Afrique, c’est une marque qui fera rayonner le nom de l’Algérie. S’il y a eu des erreurs, nous pensons sincèrement que c’est dû à la panique et au manque d’expérience en matière de communication.

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