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Médiocrité 2.0, une fatalité?

Si imaginer le futur n’est pas chose aisée dans tous les domaines de recherche, aborder les évolutions de demain dans le digital est une tâche plus compliquée. Le monde digital, étant loin d’avoir dévoilé tous ses secrets, impose une grande humilité et beaucoup de rigueur, des critères absents dans beaucoup de réflexions sur le web. Notre propos portera justement sur cette légèreté dans le traitement des sujets en rapport avec le digital, et comment les choses pourraient évoluer…

Nous considérons que le moyen le plus prudent de faire de la prospection est d’imaginer un certain déroulement de scénarios, non pas pour affirmer que « ceci va évoluer comme cela… », mais pour dire : « si ceci évolue de cette manière, on peut s’attendre à un tel résultat…».

Deux catégories d’acteurs sur le web

Jusqu’à présent, deux grandes catégories d’intervenants ont cohabité dans le champ de la réflexion autour du digital, les académiciens et les praticiens. Soyons prévenus d’emblée : il y a des exceptions des deux côtés, pas la peine de crier au simplisme…

Par académiciens, nous entendons les penseurs et analystes échafaudant leurs visions selon les critères de la recherche académique, peu importe s’ils travaillent au sein des cercles universitaires ou de recherche, ou s’ils se produisent en solo (à travers des espaces personnels comme les blogs). Ce qui compte, c’est la rigueur méthodologique, donc la crédibilité scientifique qu’ils cherchent à atteindre. Sur le web, cette catégorie est en position de faiblesse, elle ne jouit que de peu de visibilité. C’est parce que leurs publications sont denses en idées, longues en temps de consultation, recherchées dans leur niveau de langage, inadaptées (au web) dans leur style de présentation…

Par praticiens, nous désignons les gens actifs sur la toile, ils sont imprégnés d’une culture largement partagée par les jeunes et jouissent d’une certaine popularité. Leurs réflexions sont souvent superficielles ; ils font des tendances qu’ils érigent en « religions », et sont pourtant les premiers à les abandonner. Ainsi, avec eux, nous assistons souvent à l’émergence de concepts aux appellations séduisantes, comme le « Picture Marketing » ou le « Snack Content »… Ils ont une excellente maîtrise des technologies et outils digitaux, ils courent derrière les clics et les interactions, mais n’obtiennent que peu d’implication et d’engagement. Ils promeuvent une culture de l’éphémère, bénéfique pour eux, mais pas pour leur public.

La médiocrité vit ses plus beaux jours

Qui pouvait, avant le 2.0, avoir une tribune et influencer les gens dans leurs idées ? Les canaux étaient rares donc très sélectifs, il fallait faire ses preuves dans les champs académiques et médiatiques pour pouvoir s’adresser à un large public. Évidemment, nous sommes conscients que certains passaient entre les mailles du filet, mais ils étaient minoritaires.

Les discussions publiques avaient au moins le mérite de respecter un certain niveau, et les gens cherchaient à s’améliorer à travers leurs échanges. Avec le 2.0, nous assistons à un consensus autour de la médiocrité des échanges, ce que Gloria Origgi nomme « la Kakonomie ». Découvrons son idée : « La kakonomie, c’est « l’étrange préférence pour des échanges de mauvaise qualité ». Plus précisément, la kakonomie repose sur le postulat inverse de celui de la théorie des jeux selon lequel les gens, dans un échange (de biens, de services, d’idées), veulent chacun de leur côté recevoir le meilleur. La Kakonomie décrit donc le cas où les gens préfèrent donner/échanger un bien de qualité médiocre contre son équivalent, également de qualité médiocre. Il y a donc une entente sur ce que Gloria Origgi appelle « a Low-Low exchange. » »

Tout est basé sur un mensonge

Gloria Origgi explique que le phénomène/concept de Kakonomie repose sur une importante condition : «La kakonomie est régulée par une norme sociale tacite visant à brader la qualité, une acceptation mutuelle pour un résultat médiocre satisfaisant les deux parties, aussi longtemps qu’elles continuent d’affirmer publiquement que leurs échanges revêtent en fait une forte valeur ajoutée. »

Finalement, toute cette médiocrité inondant le web ne tient qu’à un mensonge envers nous-mêmes : nous savons que nos échanges sont médiocres, mais nous les apprécions tant que nous leur prétendons une certaine qualité.

La question qui se pose alors est : combien de temps cela va-t-il durer ? Impossible d’y répondre, mais nous pouvons imaginer une modification des équilibres entre académiciens et praticiens.

Lorsque les jeunes grandiront

C’est un fait, les cercles académiques sont de plus en plus investis par des jeunes, avec une parfaite maîtrise des NTIC et une culture digitale accrue. Nous allons, à l’avenir, avoir de plus en plus d’académiciens praticiens, capables de toucher un public jeune en adoptant ses codes et langages.

D’un autre côté, nous pensons que si le pacte « kakonomique » tient toujours, c’est parce que la forme prime toujours sur le fond, et la technologie sur le message. D’ailleurs, la plupart des messages médiocres diffusés sur le web ne passeraient que difficilement sur les médias classiques.

En nous basant sur ces deux idées, nous osons imaginer qu’un changement radical interviendra lorsque le web ne sera animé que par des « digital natives ». D’un côté, les académiciens seront plus armés pour faire face aux autres acteurs, et de l’autre côté, le public ne sera plus « dupé » par le moyen aux dépens du message. Il portera un regard critique sur la vraie valeur ajoutée des contenus.

Conclusion

En concluant un article prospectif, il vaut mieux avoir plus de questions que de réponses. Il est possible que les scénarios imaginés ne se produisent jamais, comme il est possible qu’ils se produisent d’une manière différente de ce que nous imaginons. Alors, soyons humbles et concentrons nos efforts sur le présent dont nous ne savons pas grand-chose.

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