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«Les partis doivent changer leur manière de communiquer»

Mohamed Cherif Amokrane est enseignant à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris et spécialiste en communication. Il explique, dans cette interview, pourquoi les partis politiques algériens peinent à se faire une place sur le web.

La plupart des partis, au pouvoir ou dans l’opposition, disposent de sites web et de pages sur les réseaux sociaux. Selon vous, est-ce que les hommes politiques algériens utilisent efficacement ces outils ?

Il est difficile de faire une réponse catégorique à une telle question, pour la simple raison qu’évaluer un outil dépend avant tout des objectifs qui lui sont assignés. Mais je remarque quand même certaines tendances contreproductives, par exemple : la plupart des sites ne sont pas concurrentiels dans l’environnement web.

Il est important de comprendre qu’un site web, même celui d’une association caritative, est en concurrence avec tous les sites et les contenus capables de retenir l’attention et l’intérêt du public ; qualité graphique, utilité, ergonomie, simplicité… s’imposent à celui qui veut se faire une place sous le «soleil du web». Concernant les réseaux sociaux, il est clair que la plupart des organisations algériennes, politiques ou commerciales, n’ont pas encore compris la nature des réseaux sociaux et ce qu’ils impliquent en matière d’ouverture et d’échange. Pourquoi créer une page facebook pour y reprendre, parfois exclusivement, l’information diffusée sur tous les médias ?

Les partis politiques de l’opposition en Algérie n’arrivent toujours pas mobiliser la société autour de leurs revendications relatives au changement politique. Pensez-vous que cet «échec» est lié, du moins en partie, à la nature des messages véhiculés et des moyens de communication utilisés ?

A première vue oui, la communication de ces partis ne suscite, le plus souvent, que de l’indifférence et du détachement. Mais est-ce que c’est différent pour les partis au pouvoir ? Vous savez bien que non. En fait, la communication est toujours une question de stratégie ; celle-ci trouve sa force et son efficacité, certes, dans ses propres composantes, mais elle dépend largement de l’environnement de l’organisation et du rendement des concurrents : un borgne peut très bien régner dans un pays d’aveugles.

Evidemment, je vois là une opportunité pour l’opposition qui manque de moyens et de soutiens. Les partis de l’opposition peuvent compenser le quantitatif par le qualitatif, mais pour cela il faut qu’ils soient capables de changer leur manière de communiquer. Ils doivent aussi savoir qu’il y a des moyens concrets qui feront de leurs dépenses et efforts en communication, de vrais leviers d’évolution.

De quels moyens s’agit-il ?

Les moyens concrets sont l’adoption d’une attitude de recherche d’efficacité, la définition d’objectifs clairs et leur mesure, l’intégration de la communication dans une stratégie globale, la vraie compréhension des attentes du public… et surtout savoir ce que la communication peut faire pour eux ; mais ce n’est pas en comptant sur les «amateurs» qui sévissent sur le marché algérien qu’ils vont y parvenir !

Un autre fait important qui concerne la communication : tous les acteurs politiques souffrent de l’image globale de «la politique algérienne». La confiance est rompue non seulement avec les politiciens d’hier et d’aujourd’hui mais aussi avec les nouveaux acteurs qui arrivent sur la scène. Cela implique que tout le monde devra fournir des efforts pour redorer le travail politique algérien et chasser les opportunistes serait un bon début.

Peut-on parler de marketing politique en Algérie ?

Au sens strict du concept, je dirais que non. De la même manière qu’on fait de l’économie, de la gestion, de la communication… sans de vraies approches stratégiques, on fait du marketing politique sans déroger à cette règle. Concrètement : en analysant les comportements des acteurs politiques, je constate qu’ils ont les mêmes mix marketing. Cela explique pourquoi ils sont perçus de la même manière par le public. On comprend aussi pourquoi le public les met dans un même sac. Vous l’aurez compris, le marketing politique doit prioritairement permettre un positionnement différent sur la scène politique, médiatique et surtout dans la tête des gens.

Que diriez-vous aux défenseurs des droits de l’homme et autres activistes qui cherchent à se faire entendre sur le web ?

A tous ceux qui défendent des causes justes, je voudrais dire : 1- le fait de faire du bénévolat ou de servir une noble cause ne garantit pas une réussite certaine ; vous devez être performants et vous faire aider, s’il le faut (pourquoi pas par des experts engagés). 2- Le web social vous offre la possibilité de mobiliser un large soutien, mais il ne le mobilisera jamais à votre place. Je veux dire par là qu’être sur le web social n’est qu’une étape sur le chemin de la mobilisation ; maîtrisez les NTIC pour être des acteurs efficaces. 3- Vos «concurrents» possèdent la force médiatique et financière, mais vous possédez l’empathie du public, investissez là-dessus.

Que pensez-vous de la communication du gouvernement ?

D’une manière générale, la communication du gouvernement doit s’améliorer, surtout avec les enjeux auxquels nous faisons et nous ferons face dans un proche avenir. Que ce soit en matière d’information, de mobilisation, de dialogue ou de sensibilisation, le rendement du gouvernement reste limité. Mais attention, il ne faut pas blâmer la communication lorsqu’elle n’est que le reflet d’une culture largement partagée chez nos dirigeants et d’un manque de cohérence stratégique entre les différents secteurs. Souvent, il faut commencer par régler les problèmes de fond. Pour illustrer l’importance d’une communication efficace, rappelez-vous l’affaire de Tiguentourine et comment la communication de nos détracteurs a transformé un bilan plutôt positif, vu la complexité de la situation, en un bilan négatif aux conséquences dommageables pour notre image et notre économie.

Un dernier mot…

Je voudrais dire aux organisations de tout type qu’il y a trop de gâchis dans leur communication. Elles doivent intégrer une culture d’efficacité et de rendement, cela leur permettra d’optimiser leurs budgets et de faire avancer leurs projets…

Farouk Djouadi

Interview publiée au journal El Watan