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«Le logiquement crédible» en application aux stratégies de communication de crise

Nous constatons souvent, face aux crises médiatiques, différents types de réponses de la part de personnes ou d’organisations mises en cause. L’une des manières de classer les discours dans les médias, est de considérer le discours distancié de la réalité en opposition au traitement factuel de l’information. Nous allons donc tenter, dans ce qui suit, de démontrer l’importance du positionnement arrêté sur cette base.

Pour commencer, posons la question suivante : qu’est-ce qui pousserait une entité (personne morale ou physique), à fuir le débat factuel à travers une certaine distance par rapport aux faits ? La première réponse qui vient à l’esprit est bien évidemment la culpabilité, car les faits réels sont beaucoup plus éloquents que n’importe quelle autre piste, aussi élaborée soit-elle. Mais faut-il que le public soit en mesure d’écouter un discours rationnel, chose qui n’est pas toujours évidente : « L’émotion suspend d’emblée le raisonnement (« je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue»). En cela, et parce qu’elle repose sur une perception […], elle semble se détourner de la rationalité constitutive de l’espace public comme espace de débat. Sauf que nous savons très bien, depuis Voltaire et l’affaire du chevalier de La Barre, que l’opinion peut se mobiliser pour défendre des causes qui lui sont rendues sensibles par le spectacle d’une souffrance indue, prendre le parti des victimes supposées injustement maltraitées (Sacco et Vanzetti), ou dénoncer des «bourreaux », responsables directs ou lointains de la souffrance d’autrui (affaire Dreyfus, etc.). »[1] Cela confirme, encore une fois, que les faits dont nous parlions plus haut dépendent de perceptions et de manipulations. Donc soyons moins hâtifs sur les jugements de culpabilité.

A présent, consultons quelques cas cités par Thierry Libaert dans un contexte de «story telling, voire de sorry telling »[2] :

– L’armateur qui après le naufrage de l’Ievoli Sun, avance l’argument que si c’était un navire de mauvaise fabrication, il ne lui aurait pas donné son propre nom ;

– Le PDG du Club Med qui réfute son insensibilité à la noyade d’un enfant, par le fait qu’il ait vécu un drame semblable dans son entourage ;

– Le PDG du groupe Toyota qui, lui aussi, se défend contre des accusations liées à la sécurité de ses voitures, par le fait qu’elles portent son nom !

La facette que nous souhaitons éclairer, à travers ces exemples, n’est pas liée au story/sorry telling, mais à ce que nous proposons d’appeler le « logiquement crédible ». Car le point commun entre tous ces messieurs, se manifeste dans le fait qu’ils aient tous tenté d’éloigner le débat par rapport aux faits. En jouant sur le vraisemblable au lieu de miser sur le vrai.

Chacun d’entre eux a exploité ce qui pourrait davantage être considéré comme un argument à charge, pour bâtir dessus sa reconfiguration de la situation :

– Le fait de donner son propre nom à un produit devrait inciter à plus de rigueur sur sa fiabilité et sa qualité ;

– Le fait de vivre le drame de la noyade dans son entourage, devrait rendre plus sensible à un accident du même type, surtout si la victime est un enfant !

Mais il semblerait que plus l’argument à charge est inimaginable, plus il devient possible de l’exploiter sur un champ logique. L’une des raisons à cela est que nous, les êtres humains, malgré les nombreuses leçons que notre vécu médiatique nous a enseignées, nous continuons à oublier qu’il y a un début à tout, dans le sens où nous sous-estimons souvent la capacité des gens à surprendre par des actions totalement improbables.

L’approche du « logiquement crédible » peut s’avérer efficace pour amener l’opinion publique, sous l’effet de sentiments négatifs, à prendre de la distance. Cette distance, lui fera évaluer les faits d’une manière objective ; ou doit-on dire déconnectée par rapport aux émotions qui rendent toute défense inaudible. Ainsi, elle donne lieu à un discours qui peut s’inscrire sous certaines stratégies de communication de crise :

– Une entreprise mise en cause peut axer sa communication sur l’impact de la causalité sur ses décisions. Si elle réussit à faire accepter la logique que telles circonstances mènent forcément à telle action, elle peut par la suite jouer sur la stratégie de l’amalgame « n’importe quel autre concurrent aurait fait la même chose » ;

– Les personnes incriminées pour euthanasie, évoquent souvent des idéaux auxquels toute la société devrait adhérer (selon elles) ; elles réussissent par ce discours à réanimer des polémiques dans différents domaines : religion, santé, justice, droits de l’Homme…l’approche constitue un projet latéral : déplacement du lieu de débat.

– Une personne ou une entreprise mises en cause, peuvent jouer sur les pièces manquantes d’un puzzle pour convaincre, à travers différents scénarios, que les informations manquantes ne confirmeraient pas forcément les accusations. Des scénarios logiquement acceptables, permettraient d’appliquer la stratégie du « chainon manquant ».

– Dans l’exemple cité plus haut, concernant le PDG du Club Med, il y a une tentative de rendre « logiquement crédible» l’émotion liée à la noyade d’un enfant. La substance du message est « qu’on est en train d’accuser un homme ayant vécu un drame du même type, d’y être insensible ». Là aussi c’est un projet latéral : la stratégie de la victimisation.

Reste à rappeler un incontournable écueil concernant l’emploi du « logiquement crédible » : il est difficile en cas de crise, de répondre de manière rationnelle à une situation hautement émotionnelle. Deux facteurs joueront un rôle important :

1- La capacité à faire adhérer les journalistes à son discours, car avec un poids médiatique considérable il est possible de contrecarrer des émotions intenses.

2- Le timing de l’introduction du discours rationnel, si on laisse l’émotion enfler, il viendra un moment où elle sera incontrôlable.

Le « logiquement crédible » est une pratique flexible pouvant s’appliquer à plus d’une stratégie de communication de crise. Le principal enjeu la concernant réside dans le fait de reconnaître les cas et les thèmes qui se prêtent au discours éloigné des faits, car s’éloigner des faits peut être mal perçu, notamment en l’existence de souffrances humaines.

 

[1] Jean-François Tétu, « L’émotion dans les médias : dispositifs, formes et figures », Mots. Les langages du politique [En ligne] URL : http://mots.revues.org/2843 , consulté le 13/05/2017

[2] « Une nouvelle stratégie de communication de crise : « ça fait mal à ma mère », OIC, [En ligne] URL : http://www.communication-sensible.com/articles/article226.php , consulté le 06/05/2017

 

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