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Communiquer, pour des projets acceptables et acceptés

Il ne serait pas exagéré de considérer que l’Algérie a, durant les dernières années, battu des records en matière de projets rejetés, abandonnés ou suspendus. La loi sur les retraites, certains projets du ministère de l’éducation, l’exploitation du gaz de schiste, la cimenterie de Batna …sont des exemples pas lointains. Il existe une croyance qu’un projet refusé et annulé, doit forcément être mauvais. Nous verrons que c’est loin d’être toujours aussi simple.

Le présent article a pour but d’éclairer le lecteur sur certains aspects qui aident à une meilleure compréhension du sujet de l’acceptabilité. Etant spécialiste en communication, l’auteur mettra en avant les apports de celle-ci, en priorité. Mais la communication ne peut régler tous les problèmes, elle intervient dans les limites de ses missions ; en les transgressant, elle pourrait se pervertir. Cela arrive lorsqu’elle se déleste de toute morale, de toute vérité.

La notion d’acceptabilité

La définition de l’acceptabilité se résumait dans un premier temps (années 1990) à des conséquences environnementales causées par des implantations industrielles. Le refus qu’elles engendrent est lié à la proximité géographique. Sous l’impulsion de Thierry Libaert et de l’observatoire international des crises, la notion de la communication d’acceptabilité a évolué et s’est intégrée à ce qu’on appelle désormais la communication sensible.

En prenant la communication d’acceptabilité comme forme de communication sensible, elle se confond souvent avec une autre variante : la communication sur les sujets sensibles. Les deux interviennent pour éviter le rejet de projets, d’implantation ou autres. La communication d’acceptabilité concerne surtout une catégorie de la population en raison de la proximité géographique ou simplement de l’appartenance à un segment précis de la société.

C’est donc la notion d’intérêt qui est de mise. Quant à la communication sur les sujets sensibles, elle intervient lorsque la population qui refuse un projet n’est pas forcément touchée par le changement. C’est pour ça que c’est la notion de valeurs qui intervient au lieu de l’intérêt. Ceci dit, un basculement du champ de l’acceptabilité vers celui des sujets sensibles, reste très possible : nous l’avons constaté avec le rejet du projet du gaz de schiste : alors qu’il était localisé à Ain Salah, il a évolué vers plusieurs villes, y compris au nord du pays.

De l’acceptabilité à l’acceptabilité sociale

Comme nous l’avons mentionné, et en toute logique, le concept de l’acceptabilité ne peut se limiter au champ de l’implantation industrielle ni à celui de l’implantation tout court. Il concerne désormais tout projet susceptible d’être freiné par un refus social : usine, autoroute, nouvelle loi, création d’un organisme (des enseignants universitaires ont en fait les frais récemment), changement de tutelle…

Selon Corinne Gendron*, l’acceptabilité sociale est un « assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. [Les populations veulent qu’on leur propose les meilleurs choix.

A défaut d’être satisfaites, elles préfèrent que les choses restent telles qu’elles sont ; et ce n’est pas la conscience grandissante chez le grand public, qui va faciliter les efforts d’acceptabilité. L’énergie solaire a été soumise comme alternative au gaz de schiste par l’opposition sociale, et l’argumentation, souvent inspirée des expériences étrangères, était scientifiquement très solide.]

Comme le font valoir les chercheurs américains, l’acceptabilité sociale est donc d’abord une question de jugement collectif, plutôt que de préférences individuelles. Par ailleurs, ce jugement est tributaire d’un processus de construction sociale à travers lequel sont formulées les alternatives face à une situation donnée.

Ce jugement est dynamique et peut se transformer au gré des débats sociaux, des enjeux et de l’évolution des valeurs dont il est l’incarnation. » A noter que c’est la même auteure qui a mis en lumière la différence entre les intérêts et les valeurs qui motivent un refus social.

Les sources du refus social

D’une manière générale, les populations refusent des projets lorsqu’elles se sentent menacées par rapport à leurs intérêts ou à leurs valeurs. Face aux intérêts, l’organisme initiateur d’un projet peut et doit engager des négociations pour atténuer l’opposition. En plus du recours à la communication d’acceptabilité, des compensations matérielles ou structurelles (retombées positives du projet) doivent être mises en avant. Par contre, quand il s’agit de valeurs, la situation devient plus compliquée, la communication sur le sujet sensible doit se baser sur le sens moral des décideurs. Face aux valeurs, il n’y a que deux possibilités :

1- Le projet est moralement défendable, il est alors légitime de déployer des efforts pour influencer la population : quand des gouvernements européens ont accueilli les réfugiés syriens, ils s’opposaient à des valeurs racistes. 2- Le projet n’est pas moralement acceptable, il faut le modifier en conséquence ou même l’abandonner. C’est ce que devrait faire le président des USA concernant certains projets.

Il faut aussi mentionner deux syndromes universels à l’origine du refus des projets : 1- NIMBY « Not In My BackYard », l’utilité du projet est reconnue du moment que ça reste loin de chez soi. 2- BANANA « Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone », ça consiste à tout refuser, ça arrive quand le refus devient une fin en soi, ou lorsque la confiance est gravement ébranlée.

Les refus algériens

A l’observation des projets auxquels les algériens s’opposent, les raisons sont multiples. Dans la plupart des cas l’absence de communication et de dialogue est à souligner. La communication intervient souvent après des manifestations de colère et de lutte. Or, la communication si elle n’est pas observée en amont, est rarement efficace. La communication tardive place ses initiateurs dans une position défensive, ce qui les couvre de culpabilité. Elle cause, de surcroit, un renfermement chez le public qui ne pardonne pas son écartement préalable. Cela fait que même un projet salutaire pour le pays peut être abandonné ; nous nous trouvons sur le terrain des perceptions et non des réalités.

D’un autre côté, il faut dénoncer l’attitude de certains faux experts, qui font du refus systématique, une preuve de leur expertise !
Enfin, il y a, au sein de notre société, des refus qui sont tout à fait justifiés et dont l’existence est nécessaire pour le réajustement de certaines décisions. Car ils obligent les organisations à écouter les parties prenantes, lorsqu’elles ont négligé le dialogue en amont. Ils permettent aussi, l’abandon de certains projets mal étudiés au départ.

Conclusion

Notre société a connu de nombreuses mutations dont il faut tenir compte, autant la communication organisation/public se complique continuellement, autant elle se facilite entre les citoyens. Il en résulte un renforcement des fronts sociaux et une amélioration des capacités de mobilisation, notamment à travers les NTIC. Le dialogue social s’impose alors, comme une condition incontournable pour toute organisation qui souhaite évoluer en harmonie avec son public.

Publication initiale sur le journal El Watan